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Utopies d’un cinéma interactif • Résumé

 

Accessible, consultable, maniable, opérable, décodable, malléable, toutes ces qualités esquissent le film des utopies d’un cinéma interactif, film aux multiples temporalités, qui se lit, se monte en cours de lecture. Il s’explore, se visite, il est un territoire virtuel où le spectateur se promène, se déplace et accède à toutes les images qui, comme les souvenirs, viennent à lui. Ce film est aussi un grand « réservoir », une large liste de séquences, dont varient les façons d’en disposer. Le lecteur le met dans sa poche ou le visionne dans son salon transformé en home cinema. Dans ce film constitué d’un réseau de liens, de connexions, le spectateur découvre des associations et chemine mentalement. L’auteur décide comment en jouir et le suggère au spectateur. Celui-ci habite pour un temps l’histoire du film et fait aussi son cinéma avec sa machine. Un cinéma qu’il partage avec d’autres.

C’est en tant qu’auteur(e) de films interactifs que j’orchestre un ensemble de rapprochements et de connexions qui forment ces « utopies d’un cinéma interactif ». Dans ma pratique, je cherche à trouver une écriture « filmique » qui s’accorde avec les spécificités de nouvelles lectures, afin que l’on se sente tout aussi libre dans l’acte de lecture d’un film que dans celui d’un livre composé d’images et de sons. Je présente une dizaine de pièces que j’ai réalisées, seule ou en collaboration avec une équipe de recherche, suscitant les nombreuses réflexions dont découle l’écriture de cette thèse. Toutes les œuvres présentées ici, de leur saisie à leur visionnage empruntent au cinéma et aux arts interactifs et/ou programmatiques. Elles relèvent de la filiation du film, qu’il soit vidéographique ou cinématographique : cinéma exposé, home cinema, personal cinema, handmovie, micro-movie, etc.

Les « utopies d’un cinéma interactif » se divisent en cinq parties qui correspondent à cinq utopies. Dans la première des utopies, je pose l’hypothèse que les œuvres s’apparentant au cinéma numérique relèvent de temporalités multiples. Elles se situent au croisement du temps cinématographique — films ayant un seul début et une seule fin — et celui du temps machine. Ce dernier varie suivant divers paramètres, comme parfois la relation qu’entretient le spectateur avec « l’œuvre programme ». Le cinéma interactif, en proposant de jouer sur la temporalité des plans, de couper à l’intérieur des séquences, perturbe la notion de plan. On y perd l’impression de temporalité continue pour un temps discontinu, où l’on ressent des ruptures. Le temps du film se détache du temps dit réel, il devient irréaliste. Le rôle d’un cinéma interactif serait de distinguer les différents types de temporalités ou d’en jouer.

La seconde utopie pose comme hypothèse que si le cinéma interactif propose une exploration temporelle, elle peut être aussi spatiale. L’art de l’exploration aurait-il trouvé pour autant sa forme privilégiée avec l’interactivité ? Comment alors explorer aussi bien l’espace que le temps ? Certaines formes d’installations vidéos interactives se situeraient à la frontière de tous ces terrains par la création d’une interface jouxtant les domaines de la sculpture, du cinéma et de la littérature. Mais après la découverte de l’espace par le tableau et de la temporalité par les films, peut-on explorer l’espace et le temps par des objets jouant conjointement sur ces deux modes ? Pour naviguer dans les temps multiples de l’œuvre, on se servira de représentations spatiales. L’espace deviendra une mesure de distance pour atteindre des temporalités. Dans cette utopie, il est question de la possibilité qu’a le spectateur d’explorer des œuvres mettant en scène des lieux virtuels ou représentés.

Dans la troisième utopie, j’étudie les relations entre mnémotechnique et cinéma numérique. Les possibilités offertes au cinéma par les techniques numériques réactualisent et ravivent les fondements des arts de la mémoire. Je m’intéresse donc à la fabrication et à l’enregistrement des images en tant que souvenir, en comparant la technique cinématographique et mnémotechnique. Ensuite j’analyse l’encodage du film, qui fait la spécificité du cinéma numérique, d’un cinéma art de l’oubli au cinéma numérique art des réminiscences. Comment est-on passé d’un film linéaire à un « film-réservoir » ? Comment fonctionnent ces « œuvres-réservoirs », communes au cinéma, à la musique et au texte ? De quelle manière le spectateur accède-t-il aux scènes préenregistrées ?

Dans la quatrième utopie, nous considérons comment accéder aux images et aux sons, comment contrôler les flux de lecture. Comment accéder aux images mouvantes d’un film comme on se saisit des phrases d’un livre imprimé ? Comment feuilleter un film comme on parcourt les lignes d’un texte ? Il est aussi question de s’interroger sur la notion d’« œuvre-jeu », de mise en scène des spectateurs dans l’œuvre, de la relation aux interfaces en ce qui concerne les objets manipulables, ainsi que de l’espace entre le spectateur et l’œuvre, de la relation entre cette zone, elle-même « interface » et le spectateur. On aborde l’« objet-interface », sa forme et la manière dont le spectateur l’utilisera.

Après avoir exploré les dispositifs de lecture d’un « cinéma jouable », la dernière utopie est consacrée aux mécanismes d’un cinéma, constitué de connexions et de liens, dont les caractéristiques empruntent au réseau que je nomme « cinéma connecté ». Les connexions de ce cinéma résultent d’un univers où les éléments, enregistrés ou calculés, peuvent être réactivés. Le cinéma connecté emprunte à l’analogie cerveau-machine et la poursuit, plus qu’il ne cherche à reproduire le fonctionnement du cerveau. Le cinéma digital sera l’art des transformations, il incarnera aussi l’art des connexions et des liens modifiant les possibilités de jeu et d’interprétation des images mouvantes.

Je conclus cette recherche sur l’attitude d’orchestration, sur les dispositifs d’émission/réception où le spectateur est connecté à une machine, via une interface et à un ensemble d'utilisateurs. Cette nouvelle figure de réalisateur voit converger les rôles de chef d’orchestre et de compositeur. Le cinéma interactif de l’homme orchestre concerne tout autant les œuvres composées pour être jouées par un programme que les films édités en DVD ou téléchargés dont le spectateur peut manipuler certains paramètres. Tous les films sont potentiellement interactifs, dès qu’ils sont copiés ou accessibles numériquement. Ainsi, le film devient interactif, que l’auteur l’ait souhaité ou non. Le devenir d’un film, comme toute image, texte ou morceau sonore numérique sera lui aussi, d’être cité, commenté, rejoué, transformé, remonté et échangé.